Vue de l’intérieur, par Juliette Hamelin, Facilitatrice Place du Dialogue

C’est parti pour la place du dialogue dans d’autres villes. Après Paris, place de la république, le 21 avril, plusieurs personnes de nos réseaux se reconnaissent dans le projet et souhaitent réaliser une place du dialogue dans leur ville.
C’est assez magique de voir comment ce projet résonne comme une évidence. Evidence de l’importance et de la nécessité de faire quelque chose pour développer le vivre ensemble. Evidence de la proposition, une place du dialogue éphémère dans l’espace public au bénéfice des passants. Incroyable cette vibration.
Le 19 mai on se donne donc rendez-vous à Angers, Bruxelles, Lille, Paris, Strasbourg, Toulouse, Vannes.
Dans chacune des villes une personne s’engage comme responsable de site, s’occupe de former l’équipe pour le jour J et de décider ensemble de la bonne « place to be », de coordonner la réception du matériel, …
Certains sites décident de demander une autorisation administrative préalable, d’autres non. A Paris le 21 avril nous y sommes allés comme ça, sans autorisation. On a vu que c’était possible, qu’il était encore possible de proposer une initiative citoyenne dans l’espace public. Des policiers en civil il y en avait forcément ce jour-là. Vous pensez, place de la république à Paris l’avant-veille du second tour de la présidentielle… Et pourtant, aucun n’est venu nous voir pour nous demander si on avait une autorisation ou pour nous demander de s’en procurer une la prochaine fois. Ils ont dû juste être là en vigilance et voyant que la démarche était pacifique et bien drivée, ils nous ont laissés dérouler. Pour moi c’est comme un test de démocratie que d’installer une place de dialogue sans autorisation et de ne pas être délogés. De ce fait, quand j’ai dit que je prenais la responsabilité du site de Lille, ma terre natale, c’était évident qu’on allait le faire comme ça. A Vannes, petit flip juste au moment de l’installation quand une voiture de police s’est arrêtée devant “le stand”. “lls avaient simplement vu la publication sur Facebook et trouvaient l’idée très intéressante, ils n’ont pas voulu nous rejoindre mais nous ont souhaité d’avoir du monde !”. Test de démocratie validé donc sur ce critère de la place pour une initiative citoyenne, même s’il est très clair que le modèle est “la délégation n’exclut pas le contrôle…”.

Les équipes se forment de façon spontanée à partir des volontés d’engagement exprimées sur le whatsapp créé depuis le lancement de l’initiative et que rejoignent chaque jour de nouvelles personnes via le formulaire de contact du site internet.
A chaque nouvelle ville, l’équipe dédiée à la relation avec les volontaires crée un whatsapp spécifique et on envoie le lien aux personnes du territoire concerné. Pour Lille, j’avais embarqué une de mes consoeurs facilitatrices, Elvira, convaincue du projet avant même que je lui en parle. Je ne connais pas les autres volontaires. Je les contacte pour expliquer le projet et le mode opératoire. Chacun confirme son engagement. Incroyable de voir la capacité de confiance de chacun d’entre nous. C’est ce que confirme pour moi aussi la place du dialogue via les passants avec qui on échange. On a tous et toutes la capacité et le désir de se faire confiance et de se relier. Les braises de la fraternité sont encore chaudes et il suffit d’un “simple souffle” pour les raviver. C’est comme ça que Lucie, Anne, Sébastien et Basile embarquent dans la team Lille. Parce que le projet et le mode opératoire sont clairs et explicites, chacune et chacun trouvent immédiatement sa place et on arrive immédiatement à faire collectif. Assez bluffant quand tu sais comment ça peut ramer sur ce point dans certaines organisations…
Choix du lieu. Il faut qu’il soit central, avec suffisamment de passage ; des passants de tout âge et de tout milieu. La place du dialogue n’est pas un lieu pour « happy few » qui se donneraient rendez-vous. On ne cherche pas à privatiser l’espace public mais à honorer au contraire sa fonction de brassage, de vivre ensemble, d’ouverture. Chaque équipe se met d’accord sur le meilleur lieu. Pour les équipes qui ont demandé une autorisation, c’est parfois l’autorité administrative qui préconise le lieu comme c’est le cas pour Angers où l’équipe s’installe place de la gare.
Dimensionnement. Selon la taille de la team, on choisit de monter 3, 4 ou 5 espaces de dialogues, sachant qu’il faut un facilitateur par espace et que pour lancer la dynamique les premiers espaces pourront être complétés par des facilitateurs. Il faut aussi 2 personnes pour informer les passants. On lance la commande à l’équipe support qui fait un super boulot. Chaque ville reçoit 3 colis. Un colis avec les tabourets en carton. Un colis avec les portes oriflammes. Un colis avec casquettes, bipers avec ses piles, livre d’or, oriflammes reprenant les informations du site internet et le QR code, autocollants avec QR code à coller sur les tabourets, ruban pour délimiter la place, kit micro pour les interviews, fiches avec les règles du dialogue que chaque facilitateur partage au démarrage d’un temps de parole, papier kraft pour écrire la question du jour, épingles à nourrices pour fixer la question du jour aux oriflammes. Zéro grain de sable dans l’organisation. Juste à trouver les galets qui serviront d’objet de parole. Facile pour Vannes mais ailleurs on se débrouille en piochant dans nos souvenirs de vacances à la mer…




Jour J. L’un d’entre nous passe sur la place en partant bosser le matin. Info pour Lille : une équipe est en train d’installer un écran géant sur la place de l’opéra mais a priori ça va le faire quand même. On regarde le ciel et la météo agricole depuis l’avant-veille, ça semble jouer. Grosse « drache » le matin et puis progressivement le sol sèche et le soleil arrive. Les cieux sont avec nous partout en France. La chance!




17h30. On se retrouve pour ceux qui le peuvent au domicile de celui qui s’est porté volontaire pour envahir son entrée de tous les colis. Pour certains qui font le trajet à pied, on loge les tabourets pliables dans des sacs d’artiste achetés pour l’occasion, le reste du matos dans nos sacs à dos et on se met en route.



En arrivant sur place on appréhende notre environnement. Cool pour nous qui sommes sur Lille, l’écran géant ça nous fait comme un point d’appui. Le responsable de la sécurité de l’opéra vient à notre rencontre. En deux deux il saisit la proposition de valeur de la place du dialogue et trouve ça top. D’autant qu’il fait en plus de la sécurité ce soir-là la promotion du spectacle qui aura lieu le lendemain place de l’opéra comme dans plusieurs villes des hauts de France : la rediffusion en live du “songe d’une nuit d’été”. Il décide d’en profiter pour faire en parallèle la promotion d’un “dialogue d’un soir de printemps”!… Et puis il veille à ce que tout se passe bien côté sécurité, comme un ange gardien.


On installe l’espace. On se coiffe : casquette bleue celles et ceux qui s’occupent d’accueillir et aussi d’interpeller les passants ; casquette blanche les facilitatrices et facilitateurs.
Lucie file chez elle à deux pas remplir les socles des oriflammes avec de l’eau car il y a un peu de vent. Juste avant de démarrer on prend le temps de faire un tour d’intentions : découvrir, rencontrer, oser, offrir, …



19h on commence. Les personnes sont curieuses à la fois de l’écran géant et de la place du dialogue. On explique les deux évènements qui ont quelque chose de commun en ce qu’ils proposent à des inconnus de vibrer ensemble le temps d’une soirée. On sent chez chaque personne du désir, de la gourmandise, vis à vis de la proposition. Certains n’ont malheureusement pas le temps, déjà d’autres engagements ; d’autres n’arrivent pas à passer outre leur timidité même si on sent qu’ils sont au seuil ; certains se laissent tenter par notre hospitalité et d’autres embrayent direct. “Nan mais attends c’est trop bien, on n’a qu’à décaler le resto, faut qu’on vive ça.”
Ca commence. Les cercles se forment, les coeurs s’ouvrent, les yeux s’allument, on est ensemble. Sur chacune des places on vit des rencontres magnifiques, des coeur à coeur touchants. A Vannes un groupe entonne un chant breton pour fêter l’anniversaire d’un des participants, à Bruxelles un homme en grande précarité remercie le groupe de lui avoir donné de la joie et des larmes à nouveau lui qui pensait avoir perdu l’un et l’autre depuis toutes ces années de galère, … La beauté est dans la rue.



21h rideau. On remballe doucement, le coeur pétillant. Chaque équipe part fêter la place du dialogue et sa rencontre autour d’une bonne table avec l’impression d’avoir vécu “la vie comme elle doit être ». Lors de la place du dialogue certains d’entre nous découvrent qu’on a prévu de proposer une place du dialogue chaque mois. « Ben d’accord alors, allez! » On se revoit bientôt. Trop hâte.


« La prose de la vie ce sont les choses que l’on fait par contrainte, la poésie nous donne un état de contentement, d’exaltation que l’on trouve dans l’amour, la musique, les rencontres. La poésie c’est tout ce qui nous donne un sentiment d’effusion, elle ne doit pas seulement être écrite mais vécue ! » Edgar Morin